Physical Address

304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124

Paris Fashion Week : chez Valentino, McQueen et Vetements, des identités plurielles

Quelle est l’identité d’une marque ? Est-ce celle de son fondateur, qui en a posé les bases esthétiques et lui a souvent légué son nom ? Ou est-ce celle du directeur artistique en poste, à qui revient la délicate mission de rendre la griffe attrayante pour ses contemporains ? Lors de la fashion week printemps-été 2025 qui se déroule à Paris jusqu’au 1er octobre, on a pu observer d’intéressants cas d’école.
McQueen fait sans doute partie des marques les plus difficiles à reprendre. Son fondateur, Lee Alexander McQueen (1969-2010), a marqué les années 1990 et 2000 par son indéniable talent de couturier, mais aussi par sa noirceur et son goût pour la provocation. En 2024, cet état d’esprit est quasi impossible à transposer : McQueen appartient au groupe de luxe Kering, qui a besoin de renouer avec la croissance après une série de mauvais résultats financiers, et les réseaux sociaux auraient tôt fait de s’embraser si la subversivité de Lee Alexander McQueen était ressuscitée. Dès lors, quelle marge de manœuvre reste-t-il à Sean McGirr, le designer irlandais de 36 ans nommé fin 2023, qui n’avait jusqu’alors jamais piloté de maison ?
Après une première collection brouillonne la saison dernière, il resserre son propos. Et tire son inspiration de la « banshee », cette figure mythologique celtique qui symbolise une magicienne venue d’un autre monde. « Ma mère me lisait des histoires de banshees, me décrivait les pleurs de ce personnage féminin, solitaire et inquiétant, se souvient Sean McGirr. C’est un point commun avec Lee [Alexander McQueen], qui avait consacré une collection entière aux banshees en 1994. »
La banshee de McGirr porte des tailleurs bien coupés, où le tissu est tantôt tordu, tantôt fendu, laissant échapper un délicat voile blanc. Des broderies métalliques prolifèrent sur le dos d’une veste marine, les pans d’un col de chemise jaillissent jusqu’au visage et retombent avec grâce sur les épaules. En contrepoint arrivent des robes très travaillées, au tissu effiloché dans des couleurs pop (émeraude, citron, lilas) ou richement brodées de pièces métalliques or et argent. La garde-robe paraît à la fois habillée et opulente, surtout dans le cadre majestueux des Beaux-Arts de Paris.
On ne peut pas vraiment dire qu’elle corresponde à l’esprit McQueen, surtout si l’on se souvient du défilé de 1994, présenté dans un club londonien délabré, devant une petite assemblée médusée par des vêtements conçus avec peu de moyens, et laissant voir la raie des fesses ou le pubis. Mais ce n’est pas forcément un tort. L’industrie de la mode s’est structurée et McQueen est devenue une marque de luxe. Si elle veut aller de l’avant, elle doit vivre avec son temps.
Valentino était le défilé le plus attendu de la fashion week : il s’agissait du premier essai d’Alessandro Michele, qui avait fait des étincelles chez Gucci pendant sept ans avec sa mode maximaliste, avant de se séparer brutalement de la marque florentine en 2022, dans un contexte de ventes en berne. En mars 2024, Valentino l’a nommé à la direction artistique, en remplacement de Pierpaolo Piccioli, qui semblait pourtant inamovible dans la maison romaine, où il œuvrait depuis plus de vingt ans.
Si la plupart des observateurs du secteur se réjouissaient de ce retour aux affaires d’Alessandro Michele, beaucoup doutaient aussi de sa capacité à se renouveler. Chez Gucci, il avait imposé son style baroque, un collage au parfum vintage d’éléments colorés et désuets, flirtant gaiement avec le kitsch, et n’avait jamais voulu – ou réussi à – le faire évoluer, malgré la pression de la direction l’incitant à alléger son propos. En juin, Valentino a partagé des images d’une précollection (en boutique le 30 septembre) qui laissaient penser que le designer italien était resté bloqué à l’ère Gucci.
Finalement, le défilé a balayé les doutes. Dans une vaste salle du Dojo de Paris tapissée de voiles crème, au sol carrelé de miroirs brisés (œuvre de l’artiste Alfredo Pirri), 85 silhouettes ont déambulé sur une bande-son hypnotisante, la chanson du XVIIe siècle Passacaglia della vita, rééditée par Gustave Rudman et enregistrée en italien, anglais et français. « Si ce monde est confus/Et te laisse déçu/Ecoute ce mot/Sourire il nous faut », répète la voix claire de la chanteuse Rosemary Standley. « La beauté peut constituer un remède à l’angoisse », explique dans sa note d’intention Alessandro Michele, pour qui la beauté n’est pas définie par des canons précis, mais plutôt par le surgissement d’une émotion.
Et sa collection en provoque. Son vestiaire est généreux, entre les longues robes colorées à col dentelé, d’autres transparentes brodées de sequins, les tuniques fleuries à lacets, les blouses drapées avec des jupes à boutons dorés, les manteaux duveteux… Les volants et les pois qui ponctuent joyeusement les silhouettes font référence aux archives de Valentino. Les voilettes, turbans, chapeaux piqués de plumes et gants en dentelle évoquent un passé flamboyant que l’on ne saurait trop dater, car la collection a un parfum seventies par son côté hippie-folk, mais porte aussi en elle l’exubérance des années 1980.
Dans tous les cas, elle atteint son but, celui d’offrir une proposition vestimentaire singulière, qui donne un coup de jeune à Valentino tout en respectant ses codes. En même temps, elle montre la capacité d’Alessandro Michele à s’adapter. Et à faire de son défilé l’un des plus beaux moments de la fashion week, comme à l’époque de Gucci.
A qui appartient l’identité d’une marque, une fois que l’un des fondateurs s’en va créer ailleurs ? C’est toute la problématique de Demna et Guram Gvasalia, cofondateurs de la marque Vetements en 2014. Nommé directeur artistique de Balenciaga un an plus tard, Demna a quitté Vetements en 2019, laissant son petit frère seul aux manettes. On a pu suivre leur guerre fratricide sur les réseaux sociaux et dans la presse, Guram Gvasalia déclarant à l’été 2023 au New York Times : « [Demna] a connu une période faste de dix ans et je pense que son époque touche lentement à sa fin. Maintenant, c’est mon tour. »
Les comptes se règlent, cette saison, sur le podium. C’est dans le sous-sol désaffecté de la tour Montparnasse, un ancien centre commercial, que le Géorgien a déroulé sa proposition, servie par une musique électronique poussée à plein volume. Si Guram Gvasalia voulait affirmer son identité, il l’a surtout brouillée avec cette collection par ailleurs très réjouissante. On retrouve les gimmicks des débuts de la marque, qui avait fait sensation en détournant le logo de DHL. Il est de retour ici, sur de l’adhésif extralarge formant une robe moulante sur le corps de la top-modèle Gigi Hadid.
Les vestes ultra-épaulées des premières saisons sont également là, tout comme les longues robes plissées et fleuries aux manches virevoltantes ou encore les blousons de motard. Des codes très distinctifs, également présents dans les collections de Balenciaga, que Guram Gvasalia se plaît à parodier. Qui inspire qui ? Comment affirmer l’identité de sa marque et se différencier ? Les parents de la fratrie, dont la mère, Ella Gvasalia, avait ouvert le défilé printemps-été 2024 de Balenciaga, étaient au premier rang du défilé Vetements. De l’art de ne pas choisir son camp.
Elvire von Bardeleben et Maud Gabrielson
Contribuer

en_USEnglish